24 Déc

Lettre à la Communauté Educative

N° 19 – décembre 2016

Chers Parents,

Chers Membres du Personnel,

Chers Professeurs,

Chers Amis de l’Institution,

 

Nous vous proposons une réflexion sur le Temps et son lien avec notre vocation d’éducateurs.

Il y a quelques années, à l’occasion d’une campagne promotionnelle, la compagnie aérienne Lufthansa diffusait un slogan : Nonstop you ! Ne jamais nous arrêter, être en perpétuel mouvement, mettre le monde à notre portée, intensifier notre vie par une densité accrue d’informations et d’activités tous azimuts, ne jamais n’avoir rien à faire… Voilà, en un slogan ou en ses déclinaisons, ce qui serait une forme d’idéal de nos contemporains.

Or, ralentir, accélérer, arrêter le temps, cela nous est impossible. Est-ce à dire que le temps est notre maître ? Quoi que nous puissions faire, il suit son cours inexorablement. Ainsi, jouir pleinement du temps présent, c’est habiter notre Humanité, sans regret pour ce qui n’est plus ou pour ce qui n’est pas encore.

Pour nous, adultes, quelques conséquences de ce rythme sont observables un peu partout : afin de rentabiliser ses heures de travail et les faire entrer dans des cadres, on rogne sur les moments d’échanges informels pourtant si précieux ; afin de de plus et de mieux se divertir, on prend sur son sommeil ; afin de rentrer au chausse-pied toutes les sollicitations d’une journée, on rabote son temps de déjeuner, pris sur le pouce ou en un temps record. Nous donnons alors raison à l’expression : « Time is money ! »…

Et même si les moyens actuels nous permettent de faire plus de choses en moins de temps, pensons-nous sincèrement que nous épuiserons un jour la liste de ce que nous voudrions accomplir ? Aurions-nous quelques restes de naïveté en croyant que le monde tiendra un jour entre nos mains ? Certes, oui, le temps manque. Bien sûr, nous aimerions parfois dilater ce temps, surtout lorsqu’il est source de satisfaction. Mais, quelle place laissons-nous au moment présent ? L’investissons-nous comme un bien précieux, unique ?

Si nous faisons un examen de conscience, lucide, ne cédons-nous pas, assez fréquemment, aux tentations du superficiel, du zapping, et, au bout du compte, de l’inutile ? Et, parce que l’exemple est toujours le premier éducateur, n’entraînons-nous pas nos enfants et nos jeunes dans cette même spirale ? Quand inverserons-nous cette vapeur, en discernant l’essentiel, la modération et l’utile ?

Nous le savons : quand il y a trop d’activité, on sombre inévitablement dans l’activisme, qui est le meilleur moyen de finir seul. Il en va de même pour les jeunes. Et, d’autre part, l’activisme tue la pensée ; la pensée a besoin de temps, de recul, de silence. Depuis plusieurs années, vous nous entendez dire : « Ce n’est pas en tirant sur la fleur, qu’elle pousse » ! Laissons à nos jeunes le temps de grandir, de mûrir, de comprendre, pas à pas, le sens des choses et de ce que, justement, le temps permet ; surtout que nous n’en sommes ni propriétaire, ni maître… Saint-Augustin écrivait : « Vos années ne sont qu’un jour… et ce jour dont je parle est l’éternité. »

Ainsi, le moment est sans doute venu de réactiver des choses essentielles. Les enquêtes prouvent que la société française a réduit, depuis plusieurs années maintenant, le temps de sommeil, que ce soit celui des enfants comme celui des adultes. Ce rétrécissement a indubitablement un impact sur la vie de famille et les apprentissages scolaires. D’une certaine manière, revenons à un fondamental : le sommeil ; le respect des rythmes biologiques commence par celui-là.

Ensuite, avoir accélérer quand c’est opportun ; mais aussi freiner quand c’est nécessaire ; tout en sachant aussi que le temps – sa conception, sa perception et son vécu – n’est pas le même pour tous. Ainsi, concrètement, prendre le temps d’apprendre une leçon, de mémoriser la finesse d’un raisonnement, d’écrire avec soin quelques lignes, c’est aujourd’hui essentiel ; la culture et l’accès à la connaissance exigent un certain temps d’enracinement.

Enfin, ne laissons pas les médias, par exemple à la suite de la dernière enquête PISA, nous décourager. Gardons confiance dans la jeunesse et dans la manière dont nous œuvrons à l’Institution, car « la transmission n’est possible que dans la confiance mutuelle » (Jean-Marie Petitclerc – ancien élève de l’Institution, prêtre salésien et éducateur bien connu). N’abandonnons pas, aux pédagogistes patentés – aussi imbus d’eux-mêmes que du langage abscond qu’ils emploient – notre œuvre éducative, qui va bien au-delà des moyens, des programmes et des injonctions. Il existe un vrai bonheur à travailler en confiance, en prenant du temps, en dialoguant, en patientant. Par exemple, faisons en sorte que chaque instant de la nouvelle année soit fécond.

Antoine de Saint-Exupéry écrivait dans Citadelle : « L’avenir, tu n’as pas à le prévoir, mais à le permettre ». Qu’en 2017, nous soyons passionnés d’Espérance, missionnés d’Espérance, miroirs d’Espérance pour chacune et chacun des jeunes qui nous sont confiés. Ce temps que nous prendrons ne sera jamais du temps perdu, contrairement aux apparences ; c’est même, sans doute, celui qui permettra toutes les promesses.

La croissance d’un petit d’Homme prend du temps, et si elle prend autant de temps, ce n’est sûrement pas pour rien.

RALENTISSONS !!!

Par les temps qui courent… ce sera une bonne chose !

Très chaleureusement à chacune et à chacun de vous,

Sœur Chantal GREFFINE, Directrice de l’École

M. Jean-Dominique EUDE, Directeur de l’Institution