17 Fév

Conférence au Maroc 

De retour du Maroc (mon premier séjour dans ce pays), accueilli et invité pour une conférence à Rabat, avec tous les égards dans le cadre somptueux de l’Institut Royal de Recherche de l’Histoire du Maroc (IRRHM), je vous livre quelques impressions sur une expérience magnifique. 

Une conférence, ce sont avant tout des rencontres. Ces rencontres, comme les voyages, enrichissent de façon majeure l’existence, qui s’embellit à la découverte de l’autre, mais aussi de ce que cet « autre » a à nous apprendre et à nous faire découvrir. J’ai ainsi assisté à une remarquable présentation de Khalid Chaouch portant sur les peintres orientalistes américains au Maroc, ainsi qu’à une communication captivante de Noureddine Chemmasse décryptant une chanson et l’air de musique l’accompagnant, tous les deux créés à l’occasion de l’arrivée de soldats américains sur le sol marocain, en novembre 1942. 

Le Maroc a en effet été touché par la Seconde Guerre mondiale. En janvier 1943, il y a 80 ans (ce qui justifie la date de ce colloque), se déroulait à Casablanca un événement majeur de la Seconde Guerre mondiale : la conférence d’Anfa, réunissant le président américain Franklin Roosevelt et le Premier ministre britannique Winston Churchill. Les deux alliés venaient de réaliser, trois mois plus tôt, la première opération amphibie majeure –l’opération « Torch »-, sur les rives du Maroc et de l’Algérie, alors dans l’Empire colonial français.  

Ma participation à la conférence portant sur les liens entre le Maroc et les Etats-Unis, de l’indépendance américaine au XVIIIe siècle à nos jours, s’explique par mes travaux d’historien de la Seconde Guerre mondiale, en particulier ma biographie du général Patton, publiée en 2016 (complété par l’ouvrage plus récent L’US Army face à l’Afrikakorps), ainsi qu’au fait d’avoir participé à un livre collectif, publié en septembre dernier (La Seconde Guerre mondiale vue d’ailleurs), auquel a également contribué le fort sympathique Mohammed Kenbib, éminent professeur d’université marocain, directeur de l’IRRHM, spécialiste des relations entre Juifs et musulmans au Maroc, qui est à l’origine de cette invitation. 

La diversité des thèmes abordés est à l’image de la richesse pour moi insoupçonnée de l’histoire de ce pays, de la littérature américaine à la question du Maroc et du conflit Israël/Palestine, les expatriés marocains en Californie, ou encore les films hollywoodiens tournés au Maroc, constituait un atout réel pour l’intérêt global de cette conférence, un antidote contre l’ennui. Il a pourtant fallu écouter des heures et j’ai alors pensé à mes chers élèves, assis à longueur de journée sur leurs chaises à écouter leurs enseignants et à travailler en classe… Ce n’est pas toujours facile… Le début a eu tout pour me plaire : Graham Cornwell évoque la guerre de Sécession et ses répercussions au Maroc. Conversant avec lui (l’anglais est utile, vital même…), alors qu’il est intrigué du fait que des Français puissent s’intéresser à la « Civil War », je l’informe notamment de l’existence d’une série de bande-dessinées intitulée « Les Tuniques Bleues », à l’origine de bien des vocations (un directeur de ma connaissance, admirateur inconditionnel du caporal Blutch, n’est pas insensible à cette ouvre du 9e art…). 

De façon inattendue, il a été question de catholicisme à un moment de cette conférence, lorsqu’une intervenante, jeune femme voilée (ce qui n’était d’ailleurs pas le cas de la plupart des participantes, musulmanes elles aussi), abordait « the role of Volunteerism in the American-Moroccan relations » et qu’elle traitait de l’antériorité et de l’exemple de certains mouvements caritatifs de l’Eglise, se montrant particulièrement dithyrambiques à l’endroit de l’oeuvre d’organisations catholiques. 
Mon tour allait venir. Toujours une petite appréhension, vécue sur les plateaux de télévision, à l’Ecole de Guerre à Paris devant des centaines d’officiers de tous les pays et lors de colloques à Paris pour les 80e anniversaires respectifs des batailles de Koufra et de Bir Hacheim. Mais, comme je le dis à mes élèves, il faut se lancer et sans lire des notes entièrement rédigées. Sûr de maîtriser mon sujet, certain d’être le mieux à même de le traiter au sein de cette assemblée, j’ai été en fait très à l’aise, adossé sur un fauteuil en cuir particulièrement confortable, avec, devant moi, sous mon nom, l’indication « Institution Jean-Paul II, Rouen ». Pour susciter l’attention, des détails et des anecdotes, qui ont été très appréciés. A l’issue de cette intervention, trois des intervenants veulent m’inviter qui à Marrakech, qui à Casablanca et Mohammed Kenbib envisage déjà de me refaire revenir…

Vous pouvez retrouver mon intervention ici (je parle au bout d’1h08 et on me retrouve à la fin pour les questions) :

https://www.youtube.com/watch?v=q4KYCXA1xoc

Les repas étaient l’occasion de côtoyer un aréopage de sommités universitaires, ce qui a été aussi mon privilège lors de salons du livre à Versailles et à Bruxelles, mais aussi le cadre de rencontres improbables : l’ancienne épouse d’un des ministres les plus influents d’Hassan II, un ancien parlementaire puis ambassadeur au Kenya, un ancien pilote de chasse abattu au-dessus du Sahara Occidental et détenu en captivité pendant plus de 20 ans… Et mille et un autres échanges sur les domaines les plus variés. Le plus cocasse est ailleurs : une autre intervenante, Leïla Maziane, spécialiste d’Histoire moderne (les pirates barbaresques), a fait ses études à Caen… au même moment que moi, mais avec quelques années de décalage.

Le monde est petit ! Mais il nous invite aussi à le découvrir. J’ai pour ma part découvert des individus (dont deux compatriotes, Marie-Pierre Ulloa et Guillaume Deglos, des puits de science dans leurs domaines), une histoire et une culture qui m’étaient étrangères et qui ont désormais aiguisé ma curiosité. La gentillesse, les sourires et l’amabilité généralisés restent gravés dans mon souvenir (de même que les cocktails et les repas…). Bref, je me suis enrichi, tout en faisant partager moi aussi les connaissances que je pouvais transmettre. 

Je suis arrivé dans un pays inconnu et sans y avoir de relations, j’en suis reparti plus riche d’amitiés et de connaissances. Le voyage comme meilleur antidote aux préjugés et aux simplifications réductrices, mais aussi comme révélation de la part la plus humaine qui réside en chacun de nous. 

Benoît RONDEAU, Professeur