Une symphonie qui célèbre la personne humaine
Le grand moment est arrivé : hier, 8 septembre, la France affrontait la Nouvelle-Zélande en match d’ouverture de la Coupe du monde de rugby 2023. Auteur de Comme un athlète de Dieu – Manifeste sportif et chrétien (Salvator, 2022), Arnaud Bouthéon rend hommage à ce sport singulier qui célèbre les vertus qui nous projettent dans la vie. Au rugby, nul ne progresse sans renoncer.
Pendant deux mois, la France accueille la Coupe du monde de rugby et nous sentons comme un frémissement de joie dans le pays. Tous ceux qui ont un jour transpiré sur le pré autour du ballon ovale, comprennent la portée de l’événement, célébré par les trompettes publicitaires et médiatiques. Au préalable, je ne sais pas si ce sport de « brutes pratiqué par des gentlemen », selon la formule, se trouve vraiment dépositaire de « valeurs » si exceptionnelles. Comme dans l’Église, le discours sur les pseudo « valeurs » sonne un peu toc et vraiment faux. De même que la seule valeur du chrétien est une personne, le Christ, les seules valeurs du rugby ne sont que des principes qui naissent de la pertinence d’une règle convoquant des vertus humaines.
La règle qui libère
Ce jeu d’occupation et de conquête est en effet un authentique sport de combat collectif, dont l’objectif est de faire avancer un ballon qui, lorsqu’il est seul, doit toujours… reculer. Au rugby, on vous apprend que le principe fondateur est d’honorer et respecter la règle, qui inclut et libère la créativité. Vous n’y verrez donc ni contestation, ni victimation pleurnicharde.
Sur le terrain, dans le feu de l’action, votre choix est toujours triple : la percussion (la force), l’évitement (la vitesse) et la passe (la solidarité). Cette compilation de gestes compose une symphonie qui célèbre la personne humaine : corps, esprit, âme, pour convoquer non pas des « valeurs » mais des vertus piochées au plus profond de notre être. Le rugby vient malaxer très profondément notre pâte humaine pour révéler le pire (découragement, violence, lâcheté, égoïsme) mais surtout le meilleur, ces vertus cardinales (c’est-à-dire charnières) qui nous projettent dans la vie : le courage dans l’adversité, la tempérance dans la violence, la prudence dans l’engagement, et la justice, pour demeurer humble devant le réel de la règle, et s’ajuster face à son prochain.
Un sport très « carné »
Au rugby, nul ne peut progresser seul. Le partage de nos peurs et la nécessité du dépassement viennent souder un groupe et fonder ainsi une fraternité d’âmes, qui ensuite devient gloutonne et bruyante. Ce sport, très « carné », rappelle aussi que notre religion chrétienne est celle de l’incarnation, d’un Dieu qui s’est fait homme et donc chair. En ces temps compliqués, le rugby célèbre l’importance du corps et de la nature, tempérament et caractère, quand de pieux cénacles, au prix d’une spiritualisation vaporeuse et parfois abusive, ont parfois préféré épuiser l’esprit pour promettre la grâce. Le rugby apprend que la réalité du terrain ne ment jamais, dans cette école du « jeu » davantage que du « je ».
Plusieurs chantres de l’ovalie ont suggéré la métaphore eucharistique autour de la passe, comme une offrande qui donne vie. Antoine Blondin invoquait le jeune Tarcisius, comme saint patron des mauls et des regroupements, faisant du porteur de balle un théophore, porteur de Dieu. Daniel Herrero, dans son Dictionnaire amoureux du rugby chantait l’oblation car « passer n’est pas un acte facile. Après avoir serré la balle contre son cœur, il faut s’en séparer, et l’offrir à quelqu’un d’autre. Et pour offrir, il faut être capable au moins d’émotion, sinon d’amour, et considérer le bonheur de l’autre comme sa propre récompense ».
Le choix des gestes justes
Retournons chez le joyeux Blondin et son catéchisme de l’ovalie, louant un rugby « chevaleresque et généreux », construit autour des vertus théologales : la foi des avants dans la conquête du ballon, la charité des demis dans l’éjection virtuose du ballon et enfin l’espérance des trois-quarts, lancés dans des courses échevelées, tendus vers l’en-but, terre promise. La petite vertu chrétienne d’eutrapélie est celle du « sain divertissement » et elle nourrit cette joie sportive, vécue souvent par procuration devant nos écrans. Ces émotions partagées peuvent aussi nous conduire à nous poser et nous reposer, tels les joueurs dans les vestiaires, pour réfléchir à nos places sur les terrains de jeu de nos vies, dans nos vocations de baptisés, d’époux, de parents, de travailleurs, de citoyens.
À l’école des vertus célébrées par l’ovalie, nous pourrons choisir des gestes justes et inspirés, à offrir, pour bonifier nos vies et celle de nos proches, faire progresser le bien et ainsi transformer petitement mais sûrement la société. Allez, les hymnes commencent. Nous sommes attendus. Bonne Coupe du monde à tous !
Arnaud BOUTHÉON, Aleteia