“L’Enseignement catholique est un atout de premier plan pour la France”
L’heure de la rentrée a sonné ce 1er septembre pour les dix millions d’élèves français, dont les quelque deux millions confiés à l’Enseignement catholique. Alors que ses spécificités semblent remises en question par l’État, Aleteia a rencontré Guillaume Prévost, nouveau Secrétaire général, choisi en avril par les évêques et qui fait sa première rentrée.
Dialogue et qualité. Voilà les deux mots que le nouveau Secrétaire général de l’Enseignement catholique (SGEC) veut mettre en avant à l’orée de sa première rentrée. Choisi par les évêques pour ce poste exposé, Guillaume Prévost arrive dans un contexte de tensions avec l’État et avec la société qui juge que l’école “privée” n’a pas pris la mesure des abus, en particulier sexuels, commis en son sein. Ancien marin, passé par l’ENA, l’homme n’est pas du sérail mais a l’avantage d’avoir passé quatre ans au ministère de l’Éducation nationale. Une expérience qui lui a permis de constater que l’administration n’était pas un “monstre”. Il a aussi dirigé le think tank “Vers le haut” dédié aux jeunes et à l’éducation. « L’Enseignement catholique, ce sont deux millions d’élèves, 7.000 établissements, 135.000 enseignants… sans compter que la société française se pose aujourd’hui de nombreuses questions sur l’éducation et la jeunesse », confie-t-il à Aleteia. « J’arrive aussi avec un mot en tête, fil rouge de mon parcours : collectif. » Entretien.
Aleteia : Comment définiriez-vous la spécificité de l’Enseignement catholique ?
Guillaume Prévost : Je vois pour ma part trois grandes dimensions qui font notre spécificité et qui sont bénéfiques pour la société. Première dimension : nous sommes des bâtisseurs d’unité. Entre parents et enseignants, avec les élèves…nous avons une culture des rapports entre les acteurs. Pour appuyer le dialogue entre les religions, nos écoles sont des lieux où l’expression de la foi n’est pas un problème, et la société en a bien besoin. Deuxième dimension : nous éduquons à la liberté vue comme un engagement, et non comme la possibilité d’ignorer ou d’être un individu détaché des autres. L’élève doit grandir pour prendre sa place dans la société, il a une vocation. Cela se traduit par un certain rapport au travail, une relation avec le monde de l’entreprise mais aussi grâce aux modèles éducatifs, comme la tradition catholique l’a toujours fait à travers les modèles de vertu que sont les saints. D’ailleurs, la recherche en sciences cognitives récente montre que les enfants progressent par mimétisme. Troisième dimension : l’esprit de service et de pauvreté. Quand j’ai rencontré Mgr Ulrich [archevêque de Paris, NDLR] il m’a dit une seule chose : « N’oubliez pas les pauvres » ! Il faut qu’on se pose des questions, que l’on aille à leur rencontre. Pas seulement avec une vision sociale mais en voyant l’enfant et sa pauvreté, sa capacité de recevoir. Pour tout cela, l’Enseignement catholique est un atout formidable pour la société.
Le contexte est difficile, comment abordez-vous la gestion des abus, quels qu’ils soient, dans l’enseignement catholique ?
L’Église a effectué un travail profond à propos des abus et à bien des égards elle est la seule à l’avoir fait. Cependant, il faut encore avancer dans la mise en œuvre des travaux de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE). Sur la question des abus, la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale a, du reste, été décevante : pas d’enquête de victimation, pas de réflexion sur la place de l’élève, sur l’autorité et la manière de l’exercer…Des mesures ont été prises (programme sur la protection des personnes vulnérables, formations, vérification des antécédents judiciaires…) et nous allons les améliorer, avancer grâce aux décisions de mon prédécesseur : audit des internats qui sont des lieux de prévalence, référentiel de certification avec un contrôle de qualité. À plus long terme, il faut réfléchir à la manière dont le caractère “systémique” se traduit dans les établissements. Au fond, ce terme veut dire que nous sommes tous responsables. pour éviter la propagation, repérer, signaler, accueillir la parole des élèves, comprendre les dévoiements possibles de l’autorité. Je ferai des annonces importantes sur ces questions dans quelques semaines pour que l’Enseignement catholique nourrisse le débat.
L’organisation de l’Enseignement catholique et les pouvoirs limités de votre poste permettent-ils un traitement efficace de ces sujets ?
Notre organisation est effectivement fondée sur la subsidiarité et nous ne souhaitons pas reproduire un système pyramidal qui dépossède les individus de leur responsabilité, qui les pousse à rechercher la conformité alors que les élèves ont besoin de relations. Notre modèle n’est pas celui d’une organisation verticale ! Il ne s’agit pas de rentrer dans un système de contrôle mais de qualité, avec une démarche de progression continue où tout monte et redescend dans une forme de boucle de rétroaction et avec le souci, telle est la vraie subsidiarité, que la personne qui doit le faire le fasse et partir du principe que les gens sont désireux de faire le bien. Pour l’aider, on peut renforcer les capacités de lucidité, identifier les risques mais aussi apprendre à avoir une vision globale des établissements et proposer des outils.
L’organisation de l’Enseignement catholique est ainsi très différente de celle de l’enseignement public. Comment gérer, dans ce contexte, les rapports avec l’État sans que deux systèmes s’opposent ?
Il me semble qu’il faut d’abord se doter d’outils pour protéger les personnels (chefs d’établissement, professeurs…) qui souffrent des caricatures et des amalgames, et tâcher de progresser. À l’école du Christ, allons parler avec celui qui a un problème plutôt que de ne cesser de contrôler. Leur multiplication ne peut pas fonctionner : pédagogique, financier, auto-diagnostic du Conseil d’évaluation de l’école, visite de tutelle… Les chefs d’établissements passent leur vie à répondre à des interrogations mais quand s’occupent-ils des élèves ? du sport ? du dialogue social ? de la santé mentale ? du niveau en maths ? Il y a fort à faire pour redonner du sens car éduquer nécessite cohérence et continuité. Avec l’État, donc, il faut revenir au dialogue et à la confiance, à l’association plutôt qu’à la subordination. Et puis, si les enjeux sont souvent réduits à l’Éducation nationale, il y a beaucoup d’autres acteurs privés et publics : collectivités, entreprises, prestataires, paroisse, protection des enfants… avec qui parler du prix de la cantine, des transports scolaires ou des familles monoparentales par exemple. En bref, il faut agir avec trois axes : subsidiarité, qualité et évaluation.
Vous dites qu’il faut sortir de la logique de contrôle, comment relisez-vous, alors, les « affaires » de Stanislas ou de l’Immaculée-Conception de Pau ?
Il est vrai que, pour beaucoup, il y a une incompréhension sur l’Enseignement catholique. Pour certains il y a plus que cela, mais c’est une toute petite minorité. Regardons le Christ avec la femme adultère. Malgré l’hostilité, il ne jette pas de pierres ! Apprenons de lui. Sachons aussi dénoncer l’incohérence : on veut nous mettre sous tutelle et que l’on accueille plus d’enfants mais sans subventionner la cantine et en réduisant les ressources budgétaires. Sachons aussi mieux expliquer ce qui fait notre spécificité et notre richesse, aller à la rencontre des collègues de l’école publique, participer au débat public et promouvoir notre vision éducative. L’Enseignement catholique est un atout de premier plan pour la France. Et pas seulement car il est respectueux des deniers publics. Il fait économiser 10 milliards d’euros à l’État chaque année, ce serait absurde de devoir les dépenser par gaminerie !
Qu’autorise et défend réellement le code de l’éducation pour les établissements associés par contrat à l’État ?
Le code de l’éducation, dans la hiérarchie des normes, est dépendant de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, reprise dans le préambule de la Constitution. Tout est là et toutes les lois doivent la respecter. La liberté d’expression est ainsi l’un des droits les plus fondamentaux de l’être humain et la condition de la vie démocratique. Et la liberté religieuse figure dans cette liberté fondamentale comme liberté de conscience. Nous avons donc le droit de tout dire pourvu que cela ne heurte pas la relation de confiance avec les élèves car la place d’éducateur donne à son magistère une autorité plus forte. Ce qui se joue chez nous est donc cette liberté de conscience, qui permet et limite, et non la laïcité. Plus on exprime des convictions religieuses, notamment, plus on doit être attentif à connaître les élèves et les familles car parler du Christ face à un enfant n’est pas pareil qu’à un adulte. Là encore,il faut rentrer dans le débat pour expliquer ce que nous faisons et pourquoi. Au lieu de constater l’incompréhension, il faut la lever.
Cependant, l’annonce de la foi est prise comme du prosélytisme et la laïcité comme une neutralité…
La neutralité n’existe pas, aucune éducation n’est neutre ! Élever un enfant consiste à faire des choix, à transmettre un ensemble de choses pour qu’il construise sa liberté. Il ne faut pas défendre la neutralité mais la liberté d’opinion. Et ne pas oublier que les enfants scolarisés chez nous vont aussi ailleurs, ils ont des clubs sportifs, une famille. Dans cet écosystème nous apportons une spécificité, un engagement, une tradition.
Le débat n’est-il pas plus profond : comment s’accorder alors que la vision de ce qu’est l’éducation ou l’anthropologie est tellement éloignée entre l’Église et la société comme le montrent les questions autour de l’Éducation à la vie affective relationnelle et sexuelle (EVARS) ?
Je ne suis pas aussi sûr que vous de cet éloignement… Je ne peux pas dire si l’on ne peut pas s’accorder. Il me semble que nous croyons à la possibilité de commun et partager, au moins, le souci de l’avenir de mes enfants. Car, si l’on ne peut pas s’accorder, il n’y aura plus d’éducation nationale et plus d’État. Quant à l’EVARS, je comprends que cela fasse peur, mais allons-y ! Parlons d’intériorité, d’éducation des désirs que l’on ne subit pas. Si l’on forme des hommes libres ils se lèveront chrétiens, apprenons cette liberté, nourris par la foi et qui permet la tempérance et la fidélité.
Que dire à ceux qui trouvent que l’Enseignement catholique ne l’est plus ou plus assez ?
Il est vrai que la progression du hors contrat nous interroge et invite à se remettre en question. Notre ouverture doit aussi être pour les familles qui recherchent la dimension évangélique de notre projet éducatif. Je dirais cependant, et c’est peut-être le plus important à retenir : si vous voulez changer le monde et construire l’avenir, c’est chez nous que ça se passe. L’école catholique a besoin de vous, elle a besoin d’élèves fervents, d’enseignants et de parents chrétiens et engagés pour assurer sa mission !
Propos recueillis par Valdemar de VAUX