Au bénéfice de tous
Lors de sa première conférence de presse de rentrée, le 23 septembre dernier, Guillaume Prévost, nouveau Secrétaire général de l’Enseignement catholique a regretté que trop de polémiques occultent les défis éducatifs immenses que la société devrait, selon lui, s’employer à relever collectivement. Malheureusement, parce qu’ils empêchent un débat loyal, certains de ses propos ont été déformés ou cités incomplètement. Guillaume Prévost a tenu à rédiger, hier, quelques lignes qui précisent sa pensée :
« Le projet éducatif singulier des établissements catholiques d’enseignement fait partie intégrante de l’offre éducative que la République propose aux familles.
En effet, la liberté de l’enseignement figure parmi les principes fondamentaux de notre République, parce qu’elle assure concrètement aux familles les conditions d’une liberté de conscience dont la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 souligne la portée : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi » (art. 10). La liberté d’enseignement s’enracine dans cette liberté de conscience : « Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leur enfant » (Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen de 1948).
C’est à ce titre que, à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, les responsables politiques surent dépasser leurs antagonismes pour permettre aux écoles libres d’exister aux côtés de l’école publique. Témoins des divisions de l’Entre-deux-guerres et de l’effondrement de 1940, ils rendaient avec Aragon un double hommage aux sacrifices du catholique Honoré d’Estienne d’Orves et du communiste Guy Mollet, « celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas ».
Nos établissements sont l’héritage de ce compromis historique, de cette volonté de faire vivre la Nation au-delà de nos différences. La liberté de l’enseignement est la contrepartie démocratique d’une société pluraliste : l’existence d’une école publique laïque et gratuite implique donc celle d’écoles privées sous contrat.
Cette conclusion découle des principes constitutionnels et s’impose donc au législateur comme aux pouvoirs publics. En particulier, le juge constitutionnel tire d’importantes conclusions de ces principes :
1- Dès 1977, le Conseil constitutionnel reconnaît que le caractère propre dérive immédiatement de la liberté de l’enseignement, dont il assure la mise en œuvre concrète au travers de projets éducatifs singuliers répondant aux besoins des familles. Ce caractère propre n’est donc pas sans limite et indéfini : il s’apprécie au regard des programmes et des « règles générales » de l’instruction publique, qui assurent le droit à l’éducation de chaque enfant et de la capacité effective des établissements de mettre en œuvre un projet éducatif cohérent mais distinct de celui des écoles publiques (décision n° 77-87 DC du 23 novembre 1977) ;
2- Ce compromis s’est approfondi au travers du statut des enseignants exerçant dans les établissements privés sous contrat. A l’occasion des lois de décentralisation, le Conseil constitutionnel précise le statut particulier de ces enseignants, qui ne sauraient être soumis au même statut que les fonctionnaires, en particulier du point de vue de la neutralité religieuse, sans porter atteinte à la possibilité pour les établissements religieux de faire vivre un projet éducatif cohérent. Les enseignants ne sont donc pas soumis au régime de neutralité des fonctionnaires et aucun statut public ne peut s’opposer à leur engagement dans un projet éducatif de nature religieuse (décision n° 84-185 DC du 18 janvier 1985).
3- Plus avant, les enseignants sont soumis à un devoir de réserve à l’égard du caractère propre des établissements au sein desquels ils exercent. La Cour prend même le soin de préciser que ce devoir de réserve n’est pas contradictoire avec leur liberté de conscience, rappelant ainsi à quel point le caractère propre des établissements dérivent des principes les plus fondamentaux d’une démocratie pluraliste (décision n° 84-185 DC du 18 janvier 1985).
Le cadre constitutionnel étant posé, reconnaissons cependant que ce que nos établissements proposent éducativement n’est pas toujours bien compris de nos concitoyens.
En particulier, nous devons nous attacher à davantage expliquer comment nos valeurs et nos pratiques rencontrent les besoins des familles qui nous font confiance et ceux de la Nation tout entière. La notion même de « caractère propre », dont l’ambiguïté convenait bien aux hommes de 1959 soucieux de compromis, peut aujourd’hui faire parfois obstacle à cette compréhension mutuelle, dont les contrôles que nous visons ces derniers mois sont une illustration évidente.
Il me semble crucial de saisir toutes les opportunités qui se présentent à nous pour manifester plus explicitement l’originalité de notre proposition éducative, telle qu’elle s’incarne dans la diversité des projets des établissements. Trop souvent, nous ne donnons pas toute sa consistance à la conception chrétienne de l’éducation, en nous cantonnant à des références implicites, ou en évoquant des conditions locales particulières. Le temps me semble venu de partager plus ouvertement nos convictions, d’expliciter les pratiques qui en découlent et d’approfondir la façon dont nous appréhendons la relation éducative. Bref, mieux faire connaître ce que nous faisons, et pourquoi nous le faisons ainsi. Je pense par exemple à la place spécifique accordée à la relation avec les parents. Cela est vrai encore des enjeux liés à la vie affective et sexuelle, c’est aussi le cas du rapport à une Création vivante et incarnée, c’est aussi le cas de la relation avec le monde du travail, que les jeunes redoutent souvent faute de sens et de repères.
C’est encore et surtout le cas du regard particulier que nous portons sur les personnes, inspiré par celui du Christ, sur son attention à notre liberté, à nos responsabilités et à nos aspirations.
Nos établissements ne sont pas des administrations ou des services déconcentrés de l’Etat, mais des communautés vivantes, ajustées à leur environnement et à leurs spécificités locales. Dans le contexte que nous traversons, il est essentiel que nous nous attachions à permettre plutôt qu’à interdire, à autoriser plutôt qu’à contraindre, à soutenir plutôt qu’à contrôler.
Nous n’avons pas besoin de nouvelles règles ou d’arguties juridiques interminables, mais de renouveler collectivement notre boussole intérieure. J’ai eu l’occasion de le dire et je ne cesserai de le répéter : la qualité vaut mieux que la conformité. Ce qui est vrai de l’aéronautique ou de l’énergie l’est encore davantage de l’éducation, où la qualité de la relation prime sur les programmes, où l’intérêt pour l’enfant conditionne tous les apprentissages.
Aussi, attachons-nous à protéger ce cadre, à expliquer sans relâche ce que nous proposons, à répondre à la fébrilité par la confiance, aux inquiétudes par la sérénité, aux contrôles par une association renouvelée, au bénéfice de tous. »