L’Abbé Hippolyte JOIN-LAMBERT, Fondateur de 1843 à 1857

La seule photo connue de l'abbé Join-LambertLA VOCATION D’HIPPOLYTE JOIN-LAMBERT

 

L’Institution Join-Lambert emprunte son nom à un prêtre, l’abbé Joseph-Hippolyte Join-Lambert, né à Elbeuf en 1812, mort en 1857, dont nous connaissons bien l’effigie de bronze autour de laquelle s’ordonnancent les bâtiments actuels, 39, rue de l’Avalasse à Rouen. Le nom de famille remonte à l’aïeul de l’abbé, un certain Bernard Join, originaire de Saint-Chinian dans l’Hérault, qui, à la suite de son oncle maternel Lambert, était venu au XVIIIème siècle, s’établir à Darnétal puis à Elbeuf pour y exercer le métier de teinturier. Après la disparition de l’oncle Lambert, le neveu, vers les années 1760, associa les deux patronymes.

 

L’enfance du jeune Hippolyte Join-Lambert subit deux influences, celle de son père, riche manufacturier d’Elbeuf, homme fort rigide mais qui avait pris ses distances avec la religion, et celle de sa mère, née Eulalie Durécu, profondément religieuse ; elle était la fille de François Durécu, maire de Darnétal, qui avat consenti un important legs à cette ville, où subsiste toujours l’hospie Durécu. Bien que sa mère disparût de bonne heure, l’enfant fut marqué par une éducation très chrétienne, visiblement teintée d’une forte orientation janséniste ; les résolutions qu’à l’âge de onze ans il consigna par écrit lors de sa première communion, sont celles d’une religion austère et exigeante.

 

Il fit d’excellentes études au collège royal de Rouen – l’actuel Lycée Corneille – où il ne cessa de remporter les premiers prix. Il ressent une vocation de prêtre, mais son père autoritaire fit tout pour détourner d’une telle orientation un fils aussi brillant. A la sortie du collège, Hippolyte présenta le concours de l’Ecole Polytechnique où il fut reçu neuvième. Il en sortit avec un rang excellent, puisqu’il intégra la prestigieuse Ecole des Ponts et Chaussées.

 

Nous savons par son biographe, l’abbé Pierre Labbé, comment dans ces écoles, il eut à affronter l’esprit irreligieux qui y régnait alors. Mais le régime d’externat de l’Ecole des Ponts et Chaussées lui permit de rejoindre le petit groupe de jeunes qui, autour d’Ozanam, venait de former la célèbre Conférence Saint-Vincent de Paul ; sa vocation en fut renforcée, mais comment faire fléchir son père ? Des amis intervinrent auprès de lui ; finalement, Hippolyte Join-Lambert accomplit encore une mission d’un an dans l’administration des Ponts et Chaussées des Côtes du Nord. A son retour en 1836, il entra au séminaire de Saint-Sulpice et fut ordonné prêtre en 1840.

 

L’OUVERTURE D’UN PENSIONNAT A BONSECOURS

 

Le Cardinal Prince de Croÿ, alors Archevêque de Rouen, ne put que se réjouir lorsqu’en 1840, il reçut dans son diocèse, un jeune prêtre de la qualité de l’abbé Join-Lambert. Il le nomma non loin de lui, vicaire à Saint-Ouen de Rouen.

 

L’abbé Juste, grand vicaire du Cardinal alors fort âgé et qui « menait toutes les affaires » songea bien vite à faire appel à son concours pour développer l’enseignement secondaire libre dans le diocèse. On rappellera que, sous la Monarchie de Juillet, les collèges royaux bénéficiaient d’un monopole dans les villes où ils étaient établis ; ailleurs, l’enseignement libre n’était possible que sous des conditions restrictives. C’est ainsi qu’avait pu être fondée à Yvetôt quelques années plus tôt, une institution ecclésiastique, dirigée par l’abbé Xavier Labbé, où enseignait précisément un autre polytechnicien, l’abbé Robert, qui avait servi quelques temps dans le Génie maritime.

 

Des opportunités se présentèrent à Bonsecours près de Rouen, c’est-à-dire en dehors du territoire urbain interdit à l’enseignement libre : des locaux disponibles dans une maison récemment construite pour l’accueil des prêtres âgés et encore presque inoccupée, la proximité de la prestigieuse basilique alors toute neuve et la présence d’un curé entreprenant, l’abbé Godefroy, qui, après avoir fait construire la basilique cherchait à valoriser sa paroisse par la création d’une école de renom.

 

L’INSTITUTION ECCLESIASTIQUE DE BOIS-GUILLAUMEStatue de l'abbé Join-Lambert (1894)

 

Les difficultés surgirent très vite à Bonsecours en raison d’un grave malentendu avec le curé, l’abbé Godefroy, qui se permit d’ouvrir une école conccurente dans une autre partie du bâtiment. Le jeune abbé s’aperçut très vite que la situation était invivable et qu’il ‘avait pas d’autre solution que de chercher à acquérir un autre local où il fût vraiment le maître ; il se proposa d’employer à cet effet, à la grande irritation de son père, sa part successorale dans la succession de sa mère. Après recherches, il trouva une belle propriété de près de cinq hectares à Bois-Guillaume, au bord de la route de Neufchâtel, tout près de Rouen – où l’enseignement secondaire libre était toujours interdit. Mais les déboires de Bonsecours l’incitèrent, avant de réaliser cette acquisition, à s’assurer de l’appui exprès de l’Archevêque de Rouen. Le Cardinal de Croÿ venait de mourir ; il attendit la nomination de son successeur, Mgr Blanquart de Bailleul, qui le reçut et l’encouragea sans réserve. L’abbé Join-Lambert obtint même pour son pensionnat, le 13 avril 1846, la qualification d’Institution Ecclésiastique.

 

Après avoir réalisé un certain nombre de constructions dont l’abbé Robert avait tracé les plans, il put effectuer à Bois-Guillaume la rentrée du 26 octobre 1846. Il y reçut alors 37 élèves, répartis en six classes, de la 9ème à la 3ème.

 

LES DERNIERES ANNEES DE L’ABBE JOIN-LAMBERT

 

Monsieur Join-Lambert souffrit toujours d’une santé très précaire, qui s’affaiblit encore en 1856. Son médecin, le docteur Hélot, lui prescrivit une cure à Cauterets, où il avait déjà séjourné plusieurs fois ; ce séjour fut comme on pense, sans effet, car les témoignages rapportent qu’il était « malade de la poitrine », expression qui désignait alors un mal incurable. Il relate dans ses dernières lettres qu’il passait la journée dans son fauteuil et ne pouvait plus dire la Messe. Il s’éteignit à Bois-Guillaume le 24 avril 1857.

 

Des soucis de toute nature n’avaient pu que hâter l’aggravation du mal ; il s’agit d’abord et avant tout de ceux que lui occasionnaient la direction de l’Institution, car cet homme, qui avait le goût de l’enseignement et s’attachait à la formation des enfants qu’on lui confiait, se montrait exagérément préoccupé par toutes les questions d’organisation matérielle et par celles de la gestion de son personnel.

 

Il fut aussi très affecté par les critiques dont il fut l’objet à l’extérieur. Son biographe, l’abbé Pierre Labbé, rapporte que certains parents voulurent profiter des facilités offertes par la nouvelle loi Falloux pour appeler les Jésuites à ouvrir un collège à Rouen ; les pourparlers auraient même été assez loin. En face de la puissante Compagnie de Jésus, le jeune abbé Join-Lambert ne pouvait manquer de s’interroger sur la fragilité de son Institution, affaire personnelle, à laquelle son état de santé donnait un caractère encore plus précaire.

 

Enfin, M. Join-Lambert fut fort attristé par une longue action judiciaire engagée par certains membres de sa famille contre les Pères de Picpus alors très influents dans le diocèse de Rouen. Il se désolidarisa de cette affaire, d’autant plus qu’il avait été ordonné en 1840 par le Supérieur du Picpus ; mais le procès, qui au suprlus fut perdu par les religieux, mit M. Join-Lambert en porte-à-faux avec le clergé du diocèse et l’on comprend les réticences qu’il ne cessa de rencontrer chaque fois qu’il voulut rechercher des professeurs parmi les jeunes prêtres diocésains ; et nous savons quele recrutement des maîtres fut le souci majeur de l’abbé.

 

Tous ces soucis auxquels il n’était pas préparé, il les supporta silencieusement, par sens du devoir, ainsi qu’il l’exprima un jour à Mgr Blanquart de Bailleul : « Je ne suis point fait pour suivre mes goûts et je prie Votre Grandeur de n’y avoir point égard ». On ne saurait trop mesurer les sacrifices acceptés par M. Join-Lambert, à la tête de sa chère Institution.

 

L'abbé Henri FlavignyL’ABBE HENRI FLAVIGNY HERITE DE L’ABBE JOIN-LAMBERT

 

Quelques semaines avant sa mort, l’abbé Join-Lambert avait rédigé son testament par lequel il léguait l’Institution de Bois-Guillaume à son neveu, le jeune abbé Henri Flavigny, fils de sa soeur Laurence Join-Lambert (épouse de Charles Flavigny) alors âgé de dix-huit ans et qui quelques mois plus tôt était entré – comme son oncle – au séminaire Saint-Sulpice. On juge de la perplexité du jeune séminariste qui ne s’y attendait pas et envisageait de se destiner aux Missions Etrangères. Ce legs ne modifiait-il pas l’orientation de sa vocation ? Comme il convient en pareille circonstance, il prit l’avis e ses supérieurs, qui l’incitèrent à reprendre l’oeuvre de son oncle.

 

Mais dans combien d’années serait-il à même de prendre en mains l’Institution ? Les inconnues étaient nombreuses. Cependant l’Archevêque de Rouen, le « bon et vénérable » Mgr Blanquart de Bailleul, se montra aussitôt soucieux d’assurer la pérennité de l’Institution ; il désigna rapidement l’abbé Leplay pour se charger de l’intérim.